lundi 21 mai 2012

L'oeil et le masque

La source de ce post est une photo envoyée par Dita, issue sans doute de la même collection que celle dont elle nous régale dans son Boudoir.
J'ai également envoyé une photo à Dita, vous pourrez donc aller voir ce qu'elle lui a inspiré.


Voici donc la photo qu'elle m'a soumise.



Et le texte qui en est inspiré.

L'oeil et le masque


Comme à chaque fois, Marc était fébrile, le regard rivé sur son téléphone, posé sur la petite table.
Il avait tout revérifié 10 fois. Sans raison, puisque « jouant à domicile », il pouvait difficilement être pris en défaut.
Et maintenant il l’attendait. Elle était un peu en retard et il commençait à douter qu’elle viendrait. Pourtant elle avait eu l’air enthousiaste, par mail d’abord, puis par téléphone.

Il sursauta presque lorsque l’écran de l’iPhone s’anima. Un simple SMS.
« Je suis devant le 32 »
Il lui donna le code et attendit qu’elle monte les étages, se rapprochant de la porte le cœur battant.

Lorsqu’elle frappa enfin, il se donna quelques secondes pour se rasséréner. Il devait avoir l’air calme, sûr de lui, professionnel.
Il prit une grande inspiration et ouvrit.

Elle était aussi jolie que sur les photos, un peu plus grande qu’il ne l’avait imaginée, maquillée comme il le lui avait demandée et l’air un peu curieuse.

Il balbutia quelques mots et la fit entrer. La débarrassa de sa veste. Dans le petit studio, le radiateur soufflait et la température était tiède, presque trop chaude. Il lui offrit un café et ils échangèrent quelques banalités pendant qu’elle le buvait. Elle avait amené son book, mais il le connaissait déjà presque par cœur. Il lui montra son portfolio. Elle l’examina avec une petite moue appréciative et toujours cet air un peu inquisiteur.

Cela faisait maintenant presque 20 minutes qu’elle était là. Ce fut elle qui demanda « on commence ? ».
Marc acquiesça.

Il la regarda distraitement se déshabiller et mettre le peignoir en soie qu’il avait préparé. Puis il tendit le bras vers la table, referma ses doigts sur son boitier et passa la courroie autour de son cou. Le poids du lourd reflex dans sa main, la texture du grip sous ses doigts, la tranquillité froide du métal le rendaient plus sûr de lui.

Il se sentit beaucoup mieux, le visage caché derrière le viseur, absorbé par ses cadrages, le réglage de ses flashes de studio, la direction de son modèle. Il prenait quelques vues, regardait le résultat sur l’écran arrière, partait sur une autre idée, cadrait de nouveau, son esprit travaillant avec régularité, au rythme des déclenchements. Complètement absorbé, il utilisait au mieux le temps qui lui était imparti, reprenant dans l’ordre les idées qu’il avait notées avant qu’elle n’arrive, les accessoires qu’il avait préparés.
Elle se prêtait docilement au jeu, comprenant presque instantanément ce qu’il attendait d’elle, prenant quelques initiatives, le regard vif, souvent braqué droit sur l’œil noir de l’objectif qui la fixait.

Il remarqua à peine qu’elle se tenait souvent trop près de lui, le frôlait, comme à dessein et affectait une complicité un peu excessive.

Ce fut elle qui suggéra cette pose, allongée sur le dos, les yeux clos derrière le masque qu’il lui avait donné.
Il prit une première vue, puis sous exposa un peu et ouvrit le diaph pour diminuer la profondeur de champ. Elle allongea une de ses jambes juste avant qu’il ne déclenche. En regardant le résultat sur l’écran arrière, il sut confusément que ce serait cette vue qu’il retiendrait. Tout semblait parfait : son attitude abandonnée, l’éclairage latéral qui dessinait parfaitement ses courbes, la profondeur de champ réduite qui floutait légèrement ses seins, son visage perdu dans l’ombre du masque...

Elle le lui confirma quelques minutes plus tard alors qu’ils regardaient ensemble les photos qu’il venait de décharger et faisaient un premier éditing. Même en grande taille sur son écran, celle là était parfaite.

Elle semblait contente de la séance et resta longtemps à discuter avec lui, semblant attendre quelque chose. Marc, toujours dans son trip, ramenait immanquablement la discussion à la photo, sa passion.

Lorsqu’elle partit, il faisait nuit. Juste avant de sortir, sur le pas de sa porte, elle lui fit la bise, restant un peu plus longtemps qu’elle n’aurait dû en le regardant droit dans les yeux. Puis la porte se referma.

Marc retourna à son poste de travail. Le visage éclairé par l’écran, il poursuivit le tri de ses photos. L’excitation de sa visite, du shooting qu’ils venaient de faire retombait peu à peu. Il sentit une boule lui monter peu à peu au fond de la gorge à mesure qu’il se remémorait les détails de son attitude en regardant les photos qu’il affichait une à une à son écran.
Il sentait confusément qu’il avait raté quelque chose.
Il attrapa son téléphone presque distraitement, hésita, le cœur battant, puis le reposa. Il était trop tard pour la rappeler maintenant, elle devait être dans le métro, à mi-chemin de chez elle.
Un peu de son parfum flottait encore dans la pièce.

Marc se leva, rêveur, et se dirigea vers sa cuisine. La journée avait été longue et il devait penser à autre chose qu’à son loisir préféré maintenant. La photo qu’il avait choisie resta affichée à l’écran quelques instants, seule source de lumière dans la pièce obscure. Puis l’écran s’éteignit.

5 commentaires:

  1. merci pour cet échange et j'aime beaucoup ton texte et ce regard original .
    et la prochaine fois.. ose!
    :)

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  2. Marc!!
    C'est curieux, j'ai eu le même sentiment que celui que j'avais éprouvé lorsqu'un ami m'a suggéré de voir "Million Dollar Baby" on affirmant que j'allais apprécié... J'ai apprécié, oh! oui, mais je suis restée sur ma faim... Tout le long du film, j'espérais ce quelque chose qui n'est jamais arrivé. Pointe de regret.
    Tout comme Marc, je rêve d'une autre fin. ^^

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    1. Moi aussi j'ai bien aimé "Million Dollar Baby", mais la fin est vraiment déprimante, surtout si on s'attend à un final classique et une apothéose à la Rocky.

      On peut effectivement rêver à une autre fin pour mon petit texte. C'est d'ailleurs probablement ce que fait mon héros et c'est bien ça son problème. A trop rêver on n'agit plus, à trop affabuler on ne saisit plus les occasions, on ne voit plus l'évidence.
      Mais c'est plus difficile de se lancer que de se cacher derrière un appareil photo.

      C'est un peu ce que je voulais exprimer, mais j'avoue que j'espérais trouver une meilleure chute !

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  3. J'aime beaucoup ce texte. Il y a un joli talent d'écriture. Et j'aime beaucoup la fin aussi, ce goût à la fois délicieux et un peu amer d'inachevé. Vraiment. Ca me rappelle la chanson de Brassens "Les passantes"... C'est une de mes préférées au monde...

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  4. Très bon texte! Qui laisse juste ce qu'il faut de frustration sur la fin (et sur la faim ^^) Merci pour cette agréable lecture, même si on a envie de secouer Marc et de lui dire "mais envoie-lui au moins un message!!!" :)

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